KMM est un modèle de maturité basé sur plus de 10 ans d'expérience dans la mise en œuvre de Kanban et ce dans diverses entreprises, de secteurs et tailles variées.
Kanban Maturity Model décrit un ensemble de pratiques à utiliser à l'échelle de l’entreprise. Ce modèle permet l'évaluation objective de l'état actuel d'une organisation afin d’identifier les défis et opportunités, les actions d'amélioration à entreprendre pour amener l’entreprise vers plus d’agilité organisationnelle.
Les bonnes pratiques préconisées par KMM sont rassemblées en domaine de processus clés, eux-mêmes regroupés en 7 niveaux de maturité (de 0 niveau le plus bas, à 6 le plus élevé).
Un niveau de maturité est atteint si toutes les bonnes pratiques du niveau, pour l’ensemble des domaines, sont mises en place.
Après avoir rapidement présenté dans un 1er article en quoi consistait ces 7 niveaux (voir mon article de 2020, ici), je souhaite désormais vous parler des comportements observables à chacun de ces niveaux.
Que se passe-t-il concrètement en termes de services rendus, de processus internes, de vie d’équipe et de perception client, dans une entreprise, en fonction de son niveau de maturité KMM ?
Pour en parler, je vais utiliser l’idée des créateurs du modèle : la métaphore de la pizza team.
Pas la pizza team agile qui comme le prêtant la légende est suffisamment petite pour se nourrir de 2 pizzas (Amazon, Jeff Bezos). Non, observons ce qui se passe dans une entreprise de livraison de pizzas.
En effet, qui n’a jamais commandé une pizza à se faire livrer ? 😉
Le 1er niveau de maturité KMM est le niveau de 0.
A ce niveau, les individus sont responsables de gérer leurs propres tâches. Souvent, la personne qui exécute le travail est également l’utilisateur de ses résultats ; c'est-à-dire que le travail consiste en des tâches auto-générées plutôt qu’en des demandes de travail par un client.
L'entreprise est inconsciente de la nécessité de suivre un processus de travail.
Il n'y a pas de travail collaboratif ou, s'il y en a, il n'y a pas de reconnaissance de la collaboration au sein de l’entreprise. Il peut y avoir collaboration mais de manière éphémère.
Il n'y a pas de notion d'« équipe », c’est-à-dire un groupe de personnes qui travaillent en collaboration pour atteindre un objectif commun.
La qualité et la régularité du travail effectué ou des services rendus sont entièrement dépendantes des individus, de leurs compétences, expérience et jugement.
L'entreprise et ses performances sont extrêmement fragiles face aux changements de personnel.
Il n'y a pas d’industrialisation, car il n'y a pas de processus défini à industrialiser. Les métriques et indicateurs n’existent pas.
La prise de décision a tendance à être réactive, émotionnelle, spontanée et parfois difficile à expliquer.
Voilà ce que nous pouvons observer dans une entreprise de livraison de pizzas au niveau 0 de maturité.
Au niveau de maturité 1, il est reconnu que structurer le travail ajoute de la valeur et qu'une certaine transparence dans la façon dont le travail est effectué offre de la cohérence.
Ce stade de maturité couvre un large éventail de pratiques de processus, des concepts variés de management et de comportements.
Au niveau le plus bas, il n'y a pas de définition de processus, de procédures ou de workflows. Cependant, certains travaux ont lieu en collaboration. Il existe une certaine forme de «flux de valeur» plutôt qu'un simple travail artisanal individuel.
À mesure que la maturité augmente, une 1ere définition des flux de travail, des processus, des modes de gestion et de décision apparaît.
La définition des processus de travail est en « émergence ».
Les quelques processus, workflows définis ne sont pas suivis de manière régulière.
Il y a bien compréhension de ce qu'est le travail, mais peut-être pas de comment il doit être fait, à quoi devrait ressembler le produit fini ou quelles sont les attentes des clients en matière de prestation de services.
Il est difficile de savoir qui est le client ou pourquoi il a demandé tel travail. On observe donc un manque d'alignement entre les équipes. Cela affecte la cohérence de la conception et de la mise en œuvre des produits ainsi que la prestation de services.
La priorisation du travail à effectuer est établie sur la base de la superstition, ou du poids politique, ou est purement aléatoire.
Les individus sont souvent surchargés. Il n'y a aucun concept de rendement pour le système.
Par conséquent, il est impossible d'essayer d'équilibrer la demande et la capacité à faire. On s'attend à ce que tout ce qui est demandé soit fait. Il n'y a aucune possibilité de trier ou de refuser le travail.
Par analogie, pour notre entreprise livrant des pizzas, on peut observer que la méthode de préparation, de cuisson et de livraison de pizzas n’est pas uniforme et que les procédures définies ne sont pas constamment suivies.
On s’aperçoit également que, souvent, la pizza livrée n’est pas la bonne, qu’il manque des ingrédients, que la livraison est de mauvaise qualité ou que le délai de livraison varie considérablement.
L'expérience client montre que l’entreprise est extrêmement peu fiable.
Le cadre de travail est stressant en raison de l'incohérence entre le travail et les process, et de la mauvaise qualité du produit. Il y a de nombreuses corrections à effectuer.
La pression est constante pour trouver de nouveaux clients parce que les clients actuels, réagissant au service peu fiable, ne reviennent pas. Il faut beaucoup de chance pour savoir si un produit ou un service est « adapté à l'usage ».
L’organisation est dépendante de l'héroïsme individuel.
La collaboration et le concept d'équipes sont reconnus, cependant la performance de l’organisation est extrêmement fragile et il y a donc une forte tendance à compter sur et à récompenser l'effort héroïque et les individus héroïques.
Les clients suffisamment transparents montrent une préférence ou exigent l'implication de personnes spécifiques dans leurs demandes de travaux afin d'atténuer les risques d’erreur, de mauvaise performance et de déception.
En cas de stress ou de circonstances exceptionnelles, la maturité organisationnelle est fortement susceptible de retomber au niveau 0. Il y a perte de discipline et le cadre n’est plus suivi. L’organisation s'appuie alors entièrement sur l’héroïsme individuel pour sortir de la crise.
Certains indicateurs peuvent être présents, bien que ceux-ci aient tendance à se concentrer sur les individus plutôt que sur les processus encore émergents. Leur suivi n’est pas régulier. La tendance est à la collecte de ce qu’il est facile de mesurer. On se demande peu si la mesure est utile ou réalisable. Certaines métriques des activités locales peuvent servir d'indicateurs de santé au global entreprise, bien que nombre d'entre elles aient peu de valeur exploitable et soient essentiellement des indicateurs de vanité (ils permettent à une équipe ou à ses membres de se sentir bien, donnent l’illusion de progression, mais ne servent à rien dans l'amélioration des résultats business).
La prise de décision est de nature émotionnelle et irrationnelle.
Au niveau de maturité 2, il existe une définition basique des processus, du flux de travail, des modes de gestion et de décision. Celle-ci est suivie de manière régulière.
L’importance de décrire « la façon dont sont faites les choses » est reconnue. Cependant, il y a toujours un manque de fiabilité entre le résultat souhaité et obtenu. Les clients observent des erreurs inacceptables dans la qualité des produits et services, mais moins qu'au niveau de maturité 1.
Les processus, les modes de gestion et de décision sont homogènes. Cependant, le résultat souhaité n'est pas toujours celui obtenu.
Il y a une bonne compréhension de ce qui constitue le travail à effectuer, et également de comment il doit être fait et à quoi devrait ressembler le produit fini.
Cependant, il se peut que l'on ne comprenne pas bien qui est le client ou pourquoi il a demandé tel travail. Cela est le plus souvent vrai pour les services internes et transverses qui manquent de visibilité sur le client final, sur l’objectif derrière une demande de travail ou sur les risques associés à ce travail. Il peut donc y avoir un manque visible d'alignement entre les équipes et les flux de travail des services interdépendants. Cela affecte la fiabilité, perçue par le client, du service rendu.
Il existe peu de critères visibles de hiérarchisation du travail. La priorisation, si elle existe, est simpliste (comme le premier entré, premier sorti) ou politique. Le système a tendance à être surchargé, avec une tendance à dire « oui » à tout ou trop de choses et une impossibilité à équilibrer la demande et la capacité à faire.
Si nous revenons à notre entreprise de livraison de pizzas, nous pouvons observer que la méthode de préparation, de cuisson et de livraison de pizza est cohérente et que les procédures définies sont désormais régulièrement suivies. La collaboration interne s'étend maintenant entre les équipes, ce qui facilite le flux de travail.
Cependant, la pizza livrée n’est parfois pas la bonne. Il manque des ingrédients, la livraison est de mauvaise qualité ou le délai de livraison diffère considérablement des attentes. La perception du client est toujours que le fournisseur n'est pas fiable.
Le cadre de travail est moins stressant en raison, notamment, de la définition claire des processus, des rôles et responsabilités. Les collaborateurs savent ce qu'on attend d'eux et ce qu'ils peuvent attendre de leurs collègues.
La mauvaise qualité est toujours un problème (mais moins qu'au niveau 1) et il y a encore des corrections à effectuer.
La pression pour trouver de nouveaux clients est encore présente parce que certains clients de l’entreprise ne reviennent pas, en réaction au service peu fiable.
Le produit ou le service n'est souvent pas totalement « adapté à l'usage ».
L’entreprise s'appuie sur l'héroïsme managérial pour assurer la cohérence et la satisfaction des attentes. L’organisation récompense et vénère les managers héroïques.
Les compétences et la performance organisationnelles restent fragiles.
Les clients peuvent exiger la participation de responsables spécifiques, en qui ils ont confiance, pour atténuer les risques de performances disparates ou médiocres et la déception consécutive.
En cas de stress ou de circonstances exceptionnelles, la maturité organisationnelle a tendance à retomber au niveau 1. Il y a tendance à perdre la discipline et ne plus suivre le cadre défini.
Il existe une industrialisation rudimentaire des processus définis. Et la tendance est à mesurer et suivre ce qui est facile à industrialiser.
Il y a peu ou pas d'alignement des métriques avec les attentes des clients. Les métriques ont tendance à être axées, localement, sur l'exécution du travail (par exemple : les durées de cycle ou les taux de production sur des activités spécifiques ou des étapes à valeur ajoutée). La plupart des mesures sont des indicateurs de santé génériques. Et même si certains peuvent avoir une valeur exploitable, ils sont à considérer comme des indicateurs de vanité.
La prise de décision est généralement de nature qualitative(1), ou motivée par les émotions.
Au niveau de maturité 3, il existe une définition connue et comprise des processus, du flux de travail, des règles de prise de décision. Ces règles sont suivies régulièrement et les résultats souhaités sont atteints conformément aux attentes des clients.
Les processus, les modes de gestion et de décision sont homogènes. Et il y a maintenant cohérence entre le résultat souhaité et celui obtenu. Les attentes des clients sont satisfaites. La conception des produits, la qualité des prestations de services sont conformes aux souhaits des clients et dans les niveaux de tolérance.
Il y a compréhension de ce qu'est le travail - à la fois la façon dont il doit être effectué et ce à quoi le produit fini doit ressembler - ainsi que des attentes en matière de prestation de services.
Il existe un sentiment fort d'unité et d’alignement sur l'objectif tout au long du flux de valeur ou dans l'ensemble du flux de travail. On observe des équipes qui collaborent pour livrer produit ou service.
Il y a une parfaite compréhension de qui est le client et pourquoi il a demandé tel travail. Il y a un fort sentiment d'accomplissement parmi les collaborateurs lors de la livraison du produit fini.
Le travail est trié et hiérarchisé en trois catégories : (1) le faire maintenant ; (2) le remettre à plus tard, comprendre quand c’est idéal ; (3) jeter, rejeter, ne pas le faire. La demande est équilibrée par rapport à la capacité à faire et le système n’est plus surchargé.
Nous observons, dans notre entreprise de livraison de pizzas, que la méthode de préparation, de cuisson et de livraison de pizzas est fiable et que les procédures définies sont régulièrement suivies. La pizza est systématiquement livrée, conformément à la demande avec une qualité élevée et dans les attentes de prestation de services. La perception du client est que le fournisseur est très fiable.
Le cadre du travail fonctionne très bien dans des circonstances normales et également exceptionnelles. La tendance à paniquer sous stress est rare. Il y a un sens aigu du processus, des rôles et des responsabilités, et les collaborateurs savent comment réagir à des circonstances inhabituelles ou exceptionnelles.
Il n'est pas urgent de trouver de nouveaux clients car les clients existants effectuent des demandes régulières.
Le produit ou le service est maintenant complètement « adapté à l'usage ».
L'héroïsme est absent. Au lieu de cela, on peut compter sur les méthodes, les processus et les cadres de décision définis. Lorsque les choses ne se déroulent pas comme prévu, des mesures sont prises pour réviser les méthodes et procédures plutôt que de blâmer les individus.
Les compétences et les performances de l’organisation sont désormais robustes.
Les clients sont maintenant convaincus que le travail est effectué de manière correcte et il n'y a pas de demandes spécifiques pour faire intervenir telle personne ou tel manager en particulier.
L'organisation pense désormais explicitement aux produits et services dans une perspective externe, orientée client.
L'idée que l'entreprise consiste en un réseau de services interdépendants commence à émerger. On reconnaît, dans une certaine mesure, la puissance et l'efficacité de services partagés performants.
Les processus sont industrialisés pour collecter et suivre des métriques orientées clients.
Il peut exister des métriques de pilotage de l’amélioration.
Les métriques ont tendance à être de bout en bout, avec des axes d'amélioration spécifiques, orientés sur des activités locales ou certaines étapes à valeur ajoutée. Une stratégie de mesure et de suivi des indicateurs existe et est claire. Les indicateurs de santé généraux sont utilisés de manière appropriée. La présence d’indicateurs de vanité est rare. Certains peuvent encore exister pour des raisons culturelles, ou par attachement émotionnel (les conditions nécessaires pour les éliminer avec succès ne se sont pas encore matérialisées).
Malgré l’industrialisation et la mise à disposition de métriques, la prise de décision reste principalement qualitative(1), ou émotionnelle.
// A suivre dans un prochain article, les comportements observables pour les niveaux de maturité 4, 5 et les comportements attendus pour le niveau 6 //
Alors d’après vous, quel est le niveau de maturité de votre propre entreprise ou organisation ? Pensez-vous atteindre, voir dépasser, le niveau 3 ?
Pour en savoir plus : https://www.kanbanmaturitymodel.com/ Vous y trouverez notamment les documents que j'ai traduits pour rédiger ce poste.
(1) : A partir du niveau 4 de maturité, on observe un changement notable vers la prise de décision quantitative. Les décisions sont étayées par des données solides et les risques évalués et couverts de manière adéquate avant l'action