Le feedback (littéralement « nourrir en retour ») consiste à dire et à expliquer à un collègue ce que vous pensez de ses actes et de leur impact sur autrui, sur l’activité et l’environnement de travail.
Cette démarche permet à l'autre de prendre conscience de ses points forts et/ou ses axes d’amélioration, qu’il s’agisse de ses compétences ou de son comportement.
Le feedback permet de clarifier les attentes de part et d’autre et réduit considérablement les malentendus et incompréhensions.
L’enjeu du feedback réside dans la capacité à dire les choses, dans l’intérêt de l'autre. Il contribue à instaurer ou renforcer la relation entre des personnes, dans une confiance mutuelle.
Un feedback peut être donné de manière formelle ou informelle, spontanément ou sur sollicitation. Il peut concerner 2 personnes uniquement ou une personne et son écosystème (en mode 360°).
Tous y trouvent un avantage car il peut être effectué entre un manager et son managé, mais également par un managé envers son manager, ou entre pairs, co-équipiers …
De plus en plus d’entreprises souhaitent généraliser la pratique du feedback, mettre en place une culture du feedback.
Dans leur livre « La règle ? Pas de règles ! », Reed Hastings et Erin Meyer partagent leur retour d’expérience concernant la mise en place de « la culture de liberté et de responsabilités » au sein de l’entreprise Netflix.
Je vous conseille vraiment la lecture de ce livre.
Les 2 auteurs y expliquent les étapes qui ont permis à Netflix, non pas d’instaurer « des processus qui empêcheraient les employés de faire preuve de discernement » mais, d’accorder plus de liberté afin que chacun puisse prendre de meilleures décisions en toute responsabilité :
Ce retour d’expérience est riche d’enseignements sur les étapes qui ont permis à Netflix de mettre en place une culture qu’ils qualifient de « réinvention ». Ce livre fourmille d’exemples et de conseils.
Dans un 1er temps, j’ai souhaité, dans cette article, me focaliser sur la mise en place de la culture de la franchise. Voici donc, ci-dessus, les morceaux choisis, ce que j’ai retenu de la généralisation de la pratique du feedback chez Netflix : n’importe où, n’importe quand et par n’importe qui.
Pour instaurer un climat de franchise, il est nécessaire que chacun « exprime le fond de sa pensée, dans une intention positive. »
Les dirigeants de Netflix ont commencé par encourager les uns et les autres à dire exactement ce qu’ils pensaient, non pour attaquer ou blesser leurs collègues, mais pour mettre sur la table leurs sentiments, leurs opinions, leurs avis afin les partager, de s’y confronter et de progresser.
Le 1er principe à appliquer était :
Moins on parle des gens dans leur dos, plus on élimine les ragots qui créent inefficacité et ressentiments, et moins on risque de voir apparaître cette ambiance désagréable généralement résumée sous l’expression « les intrigues de bureau ».
Seulement il ne suffit pas d’encourager à des retours francs pour que cela se mette en place dans l’entreprise. Ce n’est pas si simple. Il est stressant et désagréable d’entendre des critiques de son travail. Pour susciter une atmosphère de franchise, il faut obtenir, de tous, l’abandon d’années de conditionnement et de croyances fermement ancrées selon lesquelles « on n’émet des critiques que si quelqu’un vous le demande » ou « louanges en public, mais critiques en privé ».
Et en effet, même si nous voulons aider une personne à réussir, nous ne voulons pas la blesser.
Toute la difficulté est de s’aider mutuellement à réussir, par le feedback, tout en évitant de froisser les égos. Alors, comment mettre en place un environnement adéquat, avec l’approche qui convient, pour être capable de formuler des critiques sans vexer qui que ce soit ?
Pour développer une culture de la franchise on pourrait croire qu’il faut commencer par le plus simple : que les managers fassent des feedbacks à leurs collaborateurs.
Pour Netflix, il faut au contraire se concentrer, en premier, sur quelque chose de bien plus difficile : faire en sorte que les collaborateurs critiquent avec honnêteté leur manager (avec la possibilité d’un retour manager – collaborateur).
La franchise ne peut véritablement s’installer que si chacun commence à se montrer sincère vis-à-vis de ses chefs. Que chacun obtienne des critiques sincères quel que soit son niveau hiérarchique.
En effet, plus on est haut placé dans l’organigramme d’une entreprise, moins on reçoit de feedbacks donc plus on est susceptible de « venir nu au travail » (référence au conte d’Andersen, « Les habits neufs de l’empereur »), de commettre des erreurs évidentes aux yeux de tous sauf aux siens.
La première technique utilisée par les managers Netflix pour obtenir de leurs collaborateurs un retour honnête a été d’ajouter systématiquement un point feedback à l’ordre du jour des entretiens en face à face (les « one to one »).
Il ne s’agissait pas seulement d’obtenir l’avis de leurs collaborateurs, mais de les prévenir que cet avis était attendu.
Conseils :
Le comportement du manager pendant ce retour est un facteur essentiel. Il doit montrer à son collaborateur qu’il n’a rien à craindre en donnant son avis. Pour cela, il doit réagir avec gratitude quelle que soit la critique et surtout montrer ce que Netflix appelle des « signes d’appartenance ».
Il s’agit de signaux non verbaux exprimant au collaborateur (certainement inquiet d’exprimer des critiques envers son supérieur) : « ta critique fait de toi un membre important de cette équipe » ou « tu t’es montré honnête avec moi et cela ne met en péril ni ton poste, ni notre relation »…
Ces signes d’appartenance peuvent être infimes. Cela peut être un ton bienveillant, un léger rapprochement physique, un regard positif droit dans les yeux, des remerciements adressés à la personne pour son courage, une mention devant le reste de l’équipe… Plus les managers accueillent les moments de franchise par des signes d’appartenance, plus les collaborateurs feront preuve de courage dans leurs commentaires.
Les managers Netflix ont consacré un temps important à expliquer et détailler à leurs collaborateurs les bonnes et mauvaises manières d’exprimer leurs opinions. Des documents ont été mis à disposition de tous afin de montrer à quoi ressemblent les feedbacks efficaces. Des formations ont été proposées pour apprendre comment émettre et recevoir des critiques.
Enseigner à tous la meilleure manière de soumettre et recevoir des critiques est une bonne pratique conseillée.
Netflix a résumé en 4 points ce qu’ils ont retenu de comment bien donner et recevoir un feedback. Cette charte est appelée les « 4A » :
Une question se pose alors : quand et où faut-il énoncer ces critiques ? Pour Netflix, la réponse est simple : n’importe où, n’importe quand. Cela peut être :
Dans la plupart des entreprises, interpeller quelqu’un au beau milieu d’une présentation devant tout un groupe serait considéré complètement inapproprié et contreproductif. Mais pour Netflix, si vous parvenez à inculquer à tous une culture de franchise efficace, les participants sauront reconnaitre à quel point la remarque effectuée en pleine présentation est précieuse.
Du moment que vous avez en tête le modèle des 4A, le feedback peut et doit intervenir pile au moment et sur le lieu où il sera le plus utile.
Il faut, également, régulièrement être attentif à différencier la franchise désintéressée et l’attitude toxique.
En effet, adopter le franc parler ne signifie pas donner son avis à tort et à travers sans se préoccuper de l’impact éventuel que cela aura sur ses interlocuteurs.
Bien garder en tête les directives 4A impose de la réflexion.
Parfois, un temps de préparation est nécessaire avant d’émettre des critiques, et également de la supervision, du coaching.
Conseils :
Affirmer que l’entreprise attache de l’importance à la franchise est une chose. Il est plus compliqué de maintenir cette franchise en place à mesure que l’entreprise se développe, que de nouveaux employés la rejoignent, que les relations se multiplient.
Les dirigeants de Netflix ne pouvaient pas garantir que la franchise espérée serait au rendez-vous chaque jour.
Ils ont, par contre, réfléchi à des outils sur lesquels les collaborateurs pouvaient s’appuyer pour obtenir et recevoir les critiques franches qui n’étaient pas formulées naturellement au quotidien. Ils ont cherché, par la mise en place de mécanismes réguliers, à garantir qu’aucun des feedbacks les plus importants ne soit raté.
Leur souhait était, qu’a minima, une séance approfondie, tous les 6 à 12 mois, permette à chacun de disposer d’un feedback limpide et applicable.
Leur choix aurait pu être d’utiliser les évaluations annuelles. Mais dès le départ cette idée a été rejetée pour 3 raisons :
Il y a donc eu mise en place d’évaluations annuelles à 360 degrés.
Netflix a conduit leurs premières évaluations 360° par écrit « comme tout le monde » :
Le format « Commence – Arrête – Continue » était utilisé afin de s’assurer que les gens ne se cantonnaient pas aux félicitations mais fournissaient des retours concrets et susceptibles d’être mis en œuvre.
Malgré la culture de franchise, l’anonymat était la règle pour permettre un format plus sûr et plus à même d’inciter les gens à laisser des commentaires.
Et il s’est passé quelque chose d’inattendu. La culture Netflix a pris le dessus !
Dès la 1ère évaluation, certaines personnes se sont senties trop mal à l’aise pour critiquer sans signer. A la 2ème évaluation 360°, une majorité d’employés a, de sa propre initiative, choisi d’ajouter son nom. A la troisième, tout le monde signait.
L’anonymat a donc été rapidement supprimé des feedbacks 360° Netflix.
Cela a ainsi permis d’éliminer un autre problème : la non possibilité d’appliquer certains feedbacks.
En effet, certaines personnes, peut être inquiètes d’être identifiées si leurs retours étaient trop spécifiques et concrets, donnaient à leurs observations une tournure obscure, quasi incompréhensible. L’anonymat empêchant alors d’aller à la source pour demander un éclaircissement.
Sans anonymat, les gens venaient directement trouver la personne qui avait rédigé le feedback pour en discuter. Ces conversations étaient d’ailleurs bien plus précieuses que tout ce qui avait pu être écrit dans l’évaluation 360 elle-même.
Désormais, chez Netflix, des évaluations 360° sont effectuées par écrit chaque année et il est demandé à chaque personne de les signer. Chacun fournit des exemples et ajoute son nom ce qui rend ses observations plus concrètes et applicables.
Il n’y a plus attribution de notes de 1 à 5, puisque le processus de feedback n’est pas lié à des augmentations, des promotions ou des licenciements. Le but est d’aider tout le monde à s’améliorer, pas de les catégoriser ou de les ranger dans des cases.
L’autre évolution est que chacun peut maintenant adresser des commentaires à autant de collègues qu’il ou elle le souhaite à n’importe quel niveau de l’organisation – pas seulement de la hiérarchie directe, le n+1 ou les coéquipiers qui l’ont incité à leur faire ses remarques. La plupart des salariés de Netflix émettent un retour pour au moins dix personnes, mais il n’est pas rare que cela monte jusqu’à 30 ou 40.
Les feedbacks 360 suscitent des discussions inestimables. Les managers partagent les remarques de leurs n-1, ceux-ci font de même avec leur équipe, et ainsi de suite jusqu’au bas de la chaîne. Cela renforce non seulement le sentiment de transparence, mais crée également une « responsabilité inversée » par laquelle chacun se sent encouragé à interpeller son manager pour un mauvais comportement récurrent.
Conseils :
Bien que l’exercice des évaluations 360 par écrit ait permis un feedback franc et régulier, que beaucoup choisissaient de revenir dessus après coup, cela ne garantissait pas pour autant des discussions ouvertes.
Netflix a donc tenté d’autres expériences pour accentuer la transparence.
Le speed-feedback : L’exercice ressemble un peu à du speed-dating sauf qu’il s’agit de donner un feedback. Chaque binôme a quelques minutes pour échanger des retours en suivant la méthode « Commence – Arrête – Continue ». Puis ensuite il change de partenaire.
Le cercle de feedback en réunion : Les 10 dernières minutes d’une réunion de 30 minutes sont consacrées à la libre expression du groupe. Un tour de table est effectué et chacun fait un retour en utilisant le format « commence – arrête – continue ». Si personne ne dit rien, les participants attendent en silence.
Le diner feedback : Cette pratique n’est pas obligatoire mais elle est largement répandue dans les équipes Netflix. Ces évaluations 360 en direct fonctionnent grâce à la politique Netflix de haute densité de talent et à l’absence de « collaborateurs toxiques ». Les managers y trouvent un tel intérêt qu’une large majorité suit un processus similaire au moins 1 fois par an.
Se rendre à une évaluation 360 en direct pourrait ressembler à de la torture. Cela rend nerveux mais comme la séance se déroule en présence de tous, chacun prend soin de se montrer généreux et d’un grand soutien dans sa manière d’exprimer son feedback. Chacun a l’intention d’aider l’autre. Personne ne veut embarrasser l’autre ou l’attaquer. Et ceux qui dépasseraient les bornes sont presque aussitôt recadrés par le groupe.
Netflix prévient que quand son tour arrive, cela peut être désagréable d’entendre ce que les gens ont à dire, mais que c’est un des plus beaux cadeaux que la vie puisse faire : une chance pour progresser. « Parfois c’est gênant. Souvent désagréable. Mais à la fin, votre performance en sort grandie. »
Conseils :
Pour conclure mon article, je vous propose une synthèse des conseils des auteurs du livre :
☑️ Pratiquez le feedback très tôt, très souvent.
☑️ Les feedbacks spontanés et informels seront probablement rares, donc prévoyez un temps de feedback à l’ordre du jour d’autant de réunions que possible. Cela permet ainsi à chacun de s’y préparer, dans le respect d’une franchise altruiste.
☑️ Au lieu de réduire les temps de feedback formel, multipliez les.
☑️ Les 1eres fois que vous émettez des critiques, mentionnez avec tact des détails facilement corrigibles.
☑️ Accompagnez les employés, apprenez leur à émettre et recevoir des critiques de manière pertinente.
☑️ Pour adresser des critiques aux personnes de sa propre culture, appliquez les directives 4A.
Mais lorsque l’interlocuteur est étranger, ajoutez un 5ème A
☑️ En tant que manager sollicitez fréquemment des retours et réagissez par un signe d’appartenance.
☑️ Les évaluations de performance ne constituent pas le mécanisme idéal pour un environnement de travail reposant sur la franchise, car les commentaires ne vont généralement que dans un sens (du haut vers le bas) et ne viennent que d’une personne (le manager).
☑️ Une évaluation 360 par écrit est un bon mécanisme pour un feedback annuel. Mais évitez l’anonymat, ne liez pas les résultats aux augmentations ou promotions, ouvrez les commentaires à tous ceux qui souhaitent en émettre.
☑️ Les diners 360 en direct sont un autre processus, tout aussi efficace. Dégagez plusieurs heures en dehors du temps de travail et hors du bureau. Donnez des instructions claires, suivez le principe des 4A et appliquez la méthode « commence – Arrête – Continue » avec environ 25% de positif et 75% de progrès à faire – et 100% applicable, 0% blabla.