Fin 2021, j’avais organisé, au sein de la communauté managers de mon entreprise, e.Voyageurs SNCF, un « café studieux » sur le thème de la délégation. Ce fut l’occasion pour moi de faire connaître l’histoire de l’ex-commandant de la Navy : David Marquet. Voir mon précédent post Linkedin.
Suite à cette session, certains participants avaient souhaité continuer à parler délégation mais au travers d’un atelier pratico-pratique.
C’est donc avec un grand plaisir que j’ai organisé, fin février 2022, un nouveau « café studieux » afin de présenter deux outils issus du Management 3.0 : « le delegation poker » et la « delegation board ». Ces outils permettent de clarifier qui est responsable de quoi et à quel niveau. Ils permettent au manager d’identifier et partager les responsabilités qu’il souhaite déléguer à son équipe tout en obtenant l’accord et l’acceptation de cette dernière pour cette prise en charge de responsabilités.
Je vous propose de partager dans cet article, le retour d’expérience de l’animation de cette séance organisée en full distanciel.
Déroulé :
Il m’a semblé important de commencer cette séquence en rappelant rapidement ce qu’est la délégation.
La délégation ne consiste pas à donner des tâches à faire. Il ne s’agit pas de faire faire ou de dispatcher des tâches entre les collaborateurs.
Déléguer consiste, en tant que manager, à transférer son pouvoir. C’est confier une mission, avec la responsabilité qui va avec. Rendre le collaborateur « Accountable » (pour ceux qui sont familiarisés avec les RACI (*).
Une fois m’être assurée que tout le monde était d’accord avec cette définition de la délégation, j’ai choisi de présenter rapidement le management 3.0 avant de parler des 2 outils mis à disposition.
Longtemps le management en entreprise a été une question de hiérarchie, avec des donneurs d’ordres et des exécutants.
Avec l’arrivée des méthodes de management Agile les choses ont évolué. Il est désormais admis que le manager ne peut plus, à lui seul, trouver des solutions aux problèmes complexes auxquels il est confronté au quotidien. Il doit s’appuyer sur ses équipes.
Désormais, le management n’est plus uniquement un rapport hiérarchique entre salariés, mais avant tout une collaboration basée sur la communication et l’échange. C’est ce qu’on appelle le management 3.0.
Pourquoi 3.0 ? (**)
En quoi consiste le management 3.0 ? (**)
Il s’agit de mettre en place des pratiques permettant de mieux équilibrer la relation managers - collaborateurs. Cela nécessite parfois d’importants changements, tant au niveau de l’organisation de l’entreprise, que des mentalités.
Le niveau d’information de chaque employé de l’entreprise, du simple salarié aux cadres de direction, doit être identique, avec une politique de transparence maximale.
L’autonomie et l’auto-organisation sont encouragées, tout comme la prise de risques, qui est souvent à l’origine d’innovations.
Par conséquent, le droit à l’erreur devient également une règle, puisqu’il y a rarement de prise de risque réelle sans possibilité d’erreur. Les managers, comme les collaborateurs disposent désormais de plus de liberté, et peuvent s’accorder sur des objectifs à atteindre et sur la façon de le faire, sans avoir à en référer à une hiérarchie forte.
Les maîtres mots du management 3.0 sont « confiance » et « autonomie ».
Le modèle de Jurgen Appelo (***)
Partant de ce postulat, Jurgen Appelo entrepreneur hollandais, désormais auteur et conférencier, a créé un modèle, présenté sous la forme un arbre à 6 branches (avec des yeux au bout, « Martie’s eyes ») qui invite à revoir nos façons de collaborer, de communiquer mais surtout de prendre des décisions.
Présenter Martie n’était pas l’objet de la séance du jour mais je me tenais prête, en cas de questions, à rentrer plus dans le détail de ces 6 branches.
Dans son modèle Jurgen Appelo met à disposition 2 outils pour aider à la délégation des responsabilités.
Il était désormais temps de rentrer dans le cœur du sujet de l’atelier du jour. La présentation descendante avant utilisation des 2 outils.
Le Delegation Poker utilise des cartes qui représentent les 7 degrés de délégation ou de distribution de l‘autorité, classé du plus directif au plus délégatif. En effet, pour Jurgen Appelo, la délégation n’est pas un sujet binaire : 0/1, tout ou rien.
Nota : Les 7 niveaux sont symétriques : le niveau 2 est équivalent au niveau 6, mais pris du point de vue opposé (manager VS collaborateur).
Cet outil se présente sous la forme d‘un tableau, avec :
Attention, il ne s’agit pas ici de lister un ensemble de tâches individuelles mais bien des responsabilités, des domaines clés de décision.
Pour chaque domaine, une croix (ou une étoile, une gommette) est mise dans la colonne reflétant la situation actuelle, et une autre dans celle de la situation attendue, permettant ainsi de montrer visuellement et rapidement l'étendue de la zone d‘autonomie accordée pour chaque domaine.
Une fois les présentations effectuées, l’atelier pratique pouvait commencer. L’objectif de cette séquence était d’initier la co-construction d’un tableau de délégation. Chaque étape de l’exercice était expliquée avant de laisser la main aux participants pour la mise en pratique.
Pour rappel, les participants à cet atelier, en tant que membres de la communauté, sont tous des managers hiérarchiques. Ils appartiennent donc à des équipes, des entités différentes de l’entreprise.
Cette démarche peut être à l’initiative du manager ou de son équipe.
Mais le plus souvent c’est le manager qui liste les domaines qu’il souhaite déléguer.
Dans l’exemple, je propose 2 périmètres de délégation :
Dans la « vraie vie », si beaucoup de responsabilités sont à traiter dans l’atelier, il est possible :
Une fois cette 1ere étape, expliquée, les participants avaient 1 minute pour réfléchir individuellement à des responsabilités déjà déléguées à leurs équipes, ou qu’ils souhaitent leur déléguer. Puis ils les annonçaient oralement avant ajout dans le tableau Miro (****).
Au bout du temps dédié à cette séquence, le travail a été arrêté car l’objectif de l’atelier n’était pas d’effectuer l’exercice de manière exhaustive mais de faire découvrir, aux managers, le déroulé, les étapes essentielles pour bien utiliser ces 2 outils.
Cette étape permet d’identifier le niveau de délégation perçu actuellement, selon la vue du manager ET de son équipe.
a. Vue manager
Le manager positionne son étoile, sa gommette sur le niveau de délégation qu’il perçoit comme celui donné à son équipe.
Dans l’exemple sur la décision de recrutement d’un nouveau membre, il pense être au niveau 3. C’est-à-dire qu’il consulte l’équipe, récolte les avis, et prend la décision en respectant les différentes opinions.
b. Vue équipe
Dans cette étape, comme il y a plusieurs membres dans une équipe, on va utiliser les cartes de délégation en mode poker (sur le même principe que le poker planning, utilisé par une équipe Agile pour estimer la complexité de ses tâches de mise en œuvre). L’objectif est que chaque équipier puisse s’exprimer sans influence.
Chaque collaborateur dispose de son jeu de cartes, et au top du facilitateur, chacun retourne, tous en même temps, la carte qui pour lui correspond au niveau de délégation donné par le manager.
Le facilitateur interroge sur les notes extrêmes (plus haute et plus basse). Les collaborateurs expliquent leur note via des exemples concrets. Et l’équipe détermine une note commune par consensus ou consentement.
Dans mon exemple, sur la décision de recrutement d’un nouveau membre, l’équipe pense être au niveau 2 : le manager prend la décision pour l’équipe, et essaye de les convaincre du bien-fondé de celle-ci.
c. Consensus Manager & Equipe
Les perceptions du manager et de son équipe sont partagées et on recherche un consensus pour ce domaine de responsabilité.
Chacun échange en donnant des exemples de situations expliquant la note donnée.
Dans mon exemple, tout le monde s’accorde, après discussion, sur le niveau 2 de délégation.
Une fois les explications données, la mise en pratique a commencé.
J’ai sélectionné un 1er domaine à déléguer, un 1er post-it, et j’ai demandé au(x) manager(s) ayant identifié cette activité quel était le niveau de délégation actuel accordé à l’équipe. Dans cet atelier de simulation, il n’y avait pas d’enjeu, nous sommes donc arrivés rapidement à un consensus. J’ai positionné la gommette bleue représentant le niveau de délégation, vue manager, à date.
Puis nous sommes passés à l’identification de la vue équipe. Pour cela j’ai demandé aux participants de « changer de casquette ». Ils n’étaient plus managers mais membres d’équipe devant indiquer le niveau de délégation donné par le manager, pour cette 1ere responsabilité. Ils pouvaient se mettre à la place de leur équipe ou alors se positionner par rapport à leur propre manager et indiquer le niveau de délégation qu’il leur octroie.
Afin de simuler le delegation poker en distanciel, j’ai proposé d’utiliser le chat du Teams et non les cartes à jouer. J’ai tapé les notes de 1 à 7 dans la conversation et à mon top les participants devaient mettre 1 pouce sur la note qui correspondait à leur évaluation.
Après consensus, j’ai positionné la gommette bleue, vue équipe.
Puis les participants se sont mis d’accord sur un positionnement commun (manager, équipe) du niveau de délégation à date.
L’exercice était à recommencer pour 2 ou 3 domaines de responsabilité.
Il s’agit dans cette étape de faire le même exercice côté manager et côté équipe pour identifier le niveau de délégation souhaité, en cible, cette fois.
Le manager seul et l’équipe en mode poker.
Dans mon exemple, l’équipe souhaite un niveau 3 alors que le manager souhaiterait un niveau 6 : les collaborateurs prennent la décision, puis l’informent en expliquant les raisons.
Chacun s’exprime sur les raisons de cette note pour arriver, la encore, à un consensus sur la cible.
Quelques exemples à partager pourraient être :
Dans mon exemple, le consensus se crée sur un niveau 4 en cible : le manager discute avec l'ensemble des personnes concernées par la décision pour se mettre d’accord, ensemble.
Ce niveau 4 peut être un niveau transitoire ou pas …
La dernière étape est maintenant de co-définir les étapes, le plan d’action, pour permettre à l’équipe d’exercer pleinement le niveau de délégation en cible.
L’atelier touchait à sa fin. Une heure passe vite. Il était donc temps de demander les feedbacks des participants et de répondre à leurs dernières questions.
Que pensent-ils de l’atelier ? Que pensent-ils de ces outils ? Les connaissaient-ils ? Les ont-ils déjà utilisés ?
Les participants sont repartis avec les astuces suivantes :
* : RACI
** : voir article sur le site https://www.nutcache.com/fr/blog/quest-ce-que-le-management-3-0/
*** : voir article du blog Orsys
**** : Miro est une solution de tableau blanc collaboratif en ligne qui permet de partager des idées entre collaborateurs. L’outil peut répondre à différents besoins : réunions, ateliers, brainstorming, workflows agiles, UX design…