23 Mar
23Mar

Fin 2021, j’avais organisé, au sein de la communauté managers de mon entreprise, e.Voyageurs SNCF, un « café studieux » sur le thème de la délégation. Ce fut l’occasion pour moi de faire connaître l’histoire de l’ex-commandant de la Navy : David Marquet. Voir mon précédent post Linkedin.

Suite à cette session, certains participants avaient souhaité continuer à parler délégation mais au travers d’un atelier pratico-pratique. 

C’est donc avec un grand plaisir que j’ai organisé, fin février 2022, un nouveau « café studieux » afin de présenter deux outils issus du Management 3.0 : « le delegation poker » et la « delegation board ». Ces outils permettent de clarifier qui est responsable de quoi et à quel niveau. Ils permettent au manager d’identifier et partager les responsabilités qu’il souhaite déléguer à son équipe tout en obtenant l’accord et l’acceptation de cette dernière pour cette prise en charge de responsabilités. 

Je vous propose de partager dans cet article, le retour d’expérience de l’animation de cette séance organisée en full distanciel. 

Déroulé : 

  • Présentation des outils, 15’
  • Mise en pratique dans un cas concret, avec l’outil MIRO(****), 35’
  • Feedback et partages, « avec quoi repartez-vous », 10’

Présentation des outils

Il m’a semblé important de commencer cette séquence en rappelant rapidement ce qu’est la délégation.

Qu’est-ce que la délégation ?

La délégation ne consiste pas à donner des tâches à faire. Il ne s’agit pas de faire faire ou de dispatcher des tâches entre les collaborateurs. 

Déléguer consiste, en tant que manager, à transférer son pouvoir. C’est confier une mission, avec la responsabilité qui va avec. Rendre le collaborateur « Accountable » (pour ceux qui sont familiarisés avec les RACI (*)

Une fois m’être assurée que tout le monde était d’accord avec cette définition de la délégation, j’ai choisi de présenter rapidement le management 3.0 avant de parler des 2 outils mis à disposition.

Focus sur le management 3.0

Longtemps le management en entreprise a été une question de hiérarchie, avec des donneurs d’ordres et des exécutants. 

Avec l’arrivée des méthodes de management Agile les choses ont évolué. Il est désormais admis que le manager ne peut plus, à lui seul, trouver des solutions aux problèmes complexes auxquels il est confronté au quotidien. Il doit s’appuyer sur ses équipes.

Désormais, le management n’est plus uniquement un rapport hiérarchique entre salariés, mais avant tout une collaboration basée sur la communication et l’échange. C’est ce qu’on appelle le management 3.0.

Pourquoi 3.0 ? (**)

  • La version 1.0 correspond à la vision de F.W Taylor du management (le taylorisme). Les gestionnaires possèdent la connaissance et le pouvoir de décision, et les salariés ou les employés ne sont que des exécutants. Les meilleurs et les plus impliqués sont récompensés, et les moins bons, sanctionnés. La seule façon de progresser dans l’entreprise est de s’élever dans la hiérarchie. 
  • La version 2.0, bien que conservant une composante hiérarchique très forte, propose une participation beaucoup plus importante aux salariés, que l’on nomme désormais plutôt « collaborateurs ». L’information est à présent partagée (tout au moins en partie) entre les managers et les employés. Le manager conserve toujours le pouvoir et un ascendant fort sur les équipes qu’il dirige.

En quoi consiste le management 3.0 ? (**)

Il s’agit de mettre en place des pratiques permettant de mieux équilibrer la relation managers - collaborateurs. Cela nécessite parfois d’importants changements, tant au niveau de l’organisation de l’entreprise, que des mentalités. 

Le niveau d’information de chaque employé de l’entreprise, du simple salarié aux cadres de direction, doit être identique, avec une politique de transparence maximale. 

L’autonomie et l’auto-organisation sont encouragées, tout comme la prise de risques, qui est souvent à l’origine d’innovations. 

Par conséquent, le droit à l’erreur devient également une règle, puisqu’il y a rarement de prise de risque réelle sans possibilité d’erreur. Les managers, comme les collaborateurs disposent désormais de plus de liberté, et peuvent s’accorder sur des objectifs à atteindre et sur la façon de le faire, sans avoir à en référer à une hiérarchie forte. 

Les maîtres mots du management 3.0 sont « confiance » et « autonomie ».

Le modèle de Jurgen Appelo (***) 

Partant de ce postulat, Jurgen Appelo entrepreneur hollandais, désormais auteur et conférencier, a créé un modèle, présenté sous la forme un arbre à 6 branches (avec des yeux au bout, « Martie’s eyes ») qui invite à revoir nos façons de collaborer, de communiquer mais surtout de prendre des décisions.

Présenter Martie n’était pas l’objet de la séance du jour mais je me tenais prête, en cas de questions, à rentrer plus dans le détail de ces 6 branches. 

Dans son modèle Jurgen Appelo met à disposition 2 outils pour aider à la délégation des responsabilités.

Il était désormais temps de rentrer dans le cœur du sujet de l’atelier du jour. La présentation descendante avant utilisation des 2 outils. 

Delegation poker 

Le Delegation Poker utilise des cartes qui représentent les 7 degrés de délégation ou de distribution de l‘autorité, classé du plus directif au plus délégatif. En effet, pour Jurgen Appelo, la délégation n’est pas un sujet binaire : 0/1, tout ou rien.

  1. Annoncer : le manager prend la décision pour son équipe, et l'explique. Aucune discussion n'est attendue ni possible. 
  2. Vendre : le manager prend la décision pour son équipe, et essaye de la convaincre du bien-fondé de celle-ci. 
  3. Consulter : le manager consulte son équipe, récolte les avis, et prend la décision en respectant les différentes opinions. 
  4. Se mettre d‘accord : le manager discute avec l'ensemble des personnes concernées par la décision. Un consensus est trouvé. Comme le montre la taille des personnages sur les cartes, on est au niveau 4 à un niveau d’égalité dans la prise de décision. 
  5. Conseiller : le manager donne son opinion pour conseiller ses collaborateurs, mais la décision leur revient. 
  6. Informer : les collaborateurs prennent la décision, puis informent, en expliquant, leur manager. 
  7. Déléguer : les collaborateurs ont toute autonomie pour prendre la décision, sans même spécifiquement en parler à leur manager.

Nota : Les 7 niveaux sont symétriques : le niveau 2 est équivalent au niveau 6, mais pris du point de vue opposé (manager VS collaborateur).

Delegation board 

Cet outil se présente sous la forme d‘un tableau, avec : 

  • En ligne : la liste des domaines clés des responsabilités soumis à délégation, et 
  • En colonne : les 7 degrés d'autonomie.

 Attention, il ne s’agit pas ici de lister un ensemble de tâches individuelles mais bien des responsabilités, des domaines clés de décision.

Pour chaque domaine, une croix (ou une étoile, une gommette) est mise dans la colonne reflétant la situation actuelle, et une autre dans celle de la situation attendue, permettant ainsi de montrer visuellement et rapidement l'étendue de la zone d‘autonomie accordée pour chaque domaine.

La mise en pratique

Une fois les présentations effectuées, l’atelier pratique pouvait commencer. L’objectif de cette séquence était d’initier la co-construction d’un tableau de délégation. Chaque étape de l’exercice était expliquée avant de laisser la main aux participants pour la mise en pratique. 

Pour rappel, les participants à cet atelier, en tant que membres de la communauté, sont tous des managers hiérarchiques. Ils appartiennent donc à des équipes, des entités différentes de l’entreprise.


0. Liste des responsabilités à déléguer 

Cette démarche peut être à l’initiative du manager ou de son équipe. 

Mais le plus souvent c’est le manager qui liste les domaines qu’il souhaite déléguer.

Dans l’exemple, je propose 2 périmètres de délégation : 

  • L’embauche d’un nouveau membre de l’équipe 
  • La définition des objectifs annuels de l’équipe.

Dans la « vraie vie », si beaucoup de responsabilités sont à traiter dans l’atelier, il est possible : 

  • De les prioriser rapidement via un vote par exemple 
  • Et ainsi les traiter du plus important au moins important, dans le temps imparti.

Une fois cette 1ere étape, expliquée, les participants avaient 1 minute pour réfléchir individuellement à des responsabilités déjà déléguées à leurs équipes, ou qu’ils souhaitent leur déléguer. Puis ils les annonçaient oralement avant ajout dans le tableau Miro (****).

Au bout du temps dédié à cette séquence, le travail a été arrêté car l’objectif de l’atelier n’était pas d’effectuer l’exercice de manière exhaustive mais de faire découvrir, aux managers, le déroulé, les étapes essentielles pour bien utiliser ces 2 outils.


1. Etat des lieux

Cette étape permet d’identifier le niveau de délégation perçu actuellement, selon la vue du manager ET de son équipe.

a. Vue manager

Le manager positionne son étoile, sa gommette sur le niveau de délégation qu’il perçoit comme celui donné à son équipe. 

Dans l’exemple sur la décision de recrutement d’un nouveau membre, il pense être au niveau 3. C’est-à-dire qu’il consulte l’équipe, récolte les avis, et prend la décision en respectant les différentes opinions. 

b. Vue équipe 

Dans cette étape, comme il y a plusieurs membres dans une équipe, on va utiliser les cartes de délégation en mode poker (sur le même principe que le poker planning, utilisé par une équipe Agile pour estimer la complexité de ses tâches de mise en œuvre). L’objectif est que chaque équipier puisse s’exprimer sans influence.

Chaque collaborateur dispose de son jeu de cartes, et au top du facilitateur, chacun retourne, tous en même temps, la carte qui pour lui correspond au niveau de délégation donné par le manager. 

Le facilitateur interroge sur les notes extrêmes (plus haute et plus basse). Les collaborateurs expliquent leur note via des exemples concrets. Et l’équipe détermine une note commune par consensus ou consentement.

Dans mon exemple, sur la décision de recrutement d’un nouveau membre, l’équipe pense être au niveau 2 : le manager prend la décision pour l’équipe, et essaye de les convaincre du bien-fondé de celle-ci.

c. Consensus Manager & Equipe

Les perceptions du manager et de son équipe sont partagées et on recherche un consensus pour ce domaine de responsabilité. 

Chacun échange en donnant des exemples de situations expliquant la note donnée.

Dans mon exemple, tout le monde s’accorde, après discussion, sur le niveau 2 de délégation. 

Une fois les explications données, la mise en pratique a commencé. 

J’ai sélectionné un 1er domaine à déléguer, un 1er post-it, et j’ai demandé au(x) manager(s) ayant identifié cette activité quel était le niveau de délégation actuel accordé à l’équipe. Dans cet atelier de simulation, il n’y avait pas d’enjeu, nous sommes donc arrivés rapidement à un consensus. J’ai positionné la gommette bleue représentant le niveau de délégation, vue manager, à date. 

Puis nous sommes passés à l’identification de la vue équipe. Pour cela j’ai demandé aux participants de « changer de casquette ». Ils n’étaient plus managers mais membres d’équipe devant indiquer le niveau de délégation donné par le manager, pour cette 1ere responsabilité. Ils pouvaient se mettre à la place de leur équipe ou alors se positionner par rapport à leur propre manager et indiquer le niveau de délégation qu’il leur octroie.  

Afin de simuler le delegation poker en distanciel, j’ai proposé d’utiliser le chat du Teams et non les cartes à jouer. J’ai tapé les notes de 1 à 7 dans la conversation et à mon top les participants devaient mettre 1 pouce sur la note qui correspondait à leur évaluation. 

Après consensus, j’ai positionné la gommette bleue, vue équipe. 

Puis les participants  se sont mis d’accord sur un positionnement commun (manager, équipe) du niveau de délégation à date.

L’exercice était à recommencer pour 2 ou 3 domaines de responsabilité.


2. Niveau de délégation en cible

Il s’agit dans cette étape de faire le même exercice côté manager et côté équipe pour identifier le niveau de délégation souhaité, en cible, cette fois.

Le manager seul et l’équipe en mode poker.

Dans mon exemple, l’équipe souhaite un niveau 3 alors que le manager souhaiterait un niveau 6 : les collaborateurs prennent la décision, puis l’informent en expliquant les raisons. 

Chacun s’exprime sur les raisons de cette note pour arriver, la encore, à un consensus sur la cible. 

Quelques exemples à partager pourraient être : 

  • Baisse du niveau de délégation : l’équipe est constituée de prestataires externes qui ne se sentent pas la légitimité d’embaucher un collaborateur interne 
  • Hausse du niveau de délégation : le manager n’a pas de compétences techniques et fait toute confiance à son équipe …

Dans mon exemple, le consensus se crée sur un niveau 4 en cible : le manager discute avec l'ensemble des personnes concernées par la décision pour se mettre d’accord, ensemble. 

Ce niveau 4 peut être un niveau transitoire ou pas …


3. Plan d’action

La dernière étape est maintenant de co-définir les étapes, le plan d’action, pour permettre à l’équipe d’exercer pleinement le niveau de délégation en cible.

Conclusion

L’atelier touchait à sa fin. Une heure passe vite. Il était donc temps de demander les feedbacks des participants et de répondre à leurs dernières questions.  

Que pensent-ils de l’atelier ? Que pensent-ils de ces outils ? Les connaissaient-ils ? Les ont-ils déjà utilisés ?   

Les participants sont repartis avec les astuces suivantes : 

  • Expliquer les objectifs et le déroulé de l’atelier dès l’invitation.  
  • Avertir que les divergences de vues, les écarts de perceptions individuelles, sur les niveaux de délégation, notamment entre le manager et son équipe, sont normales.
  • Laisser la part belle à la discussion, l’écoute, les échanges et les feedbacks entre le manager et son équipe
  • Ne pas chercher à lister toutes les tâches du manager, de manière exhaustive, il s’agit de travailler aux domaines de responsabilités à déléguer 
  • Une équipe qui ne souhaite pas monter en autonomie sur un domaine de responsabilité n’est pas une équipe qui dysfonctionne. Il n’y a pas nécessité, d’objectif à aller toujours vers plus d’autonomie. L’essentiel est d’en comprendre les raisons. 
  • Un atelier à reconduire dans le cadre de l’amélioration continue. A refaire régulièrement dans des rétrospectives de fonctionnement de l’équipe. 
  • L’importance d’un facilitateur de l’atelier pour aplanir les tensions et réussir à aller au bout sereinement.

* : RACI 

  • R : « Responsible » ou « Réalisateur » en français. Il s’agit de la personne réalisant l’action. Le R est responsable de la production de l’activité. 
  • A : « Accountable » ou « Autorité » en français. Le A est l’autorité demandant la réalisation de l’activité et qui s’assure de son exécution. Il est celui qui doit rendre des comptes sur l’avancement de l’action. 
  • C : « Consulted » ou « Consulté » en français. Le C est la personne devant être consultée (bidirectionnel). Il est contributeur à la production de l’activité. 
  • I : « Informed » ou « Informé » en français. Le I est la personne qui doit être informée de la production de l’activité. 

** : voir article sur le site https://www.nutcache.com/fr/blog/quest-ce-que-le-management-3-0/ 

*** : voir article du blog Orsys 

**** : Miro est une solution de tableau blanc collaboratif en ligne qui permet de partager des idées entre collaborateurs. L’outil peut répondre à différents besoins : réunions, ateliers, brainstorming, workflows agiles, UX design…

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